L'espace des villes
(Ode Pellissier)
J'ai vécu "là-bas", toute mon enfance, adolescence et le début de ma
vie de femme.
Nous n'étions pas des colons!
Pourquoi, actuellement encore, vous, Pieds-blancs, pensez
encore que nous étions tous de riches colons...
Oui! C'est sûr, il y en avait... comme dans tous les pays. Vos grands
patrons français croyez vous qu'ils ne profitent pas des petits
ouvriers, qu'ils mettent, pour un oui ou un non à la porte de leur
usine... Combien de suicides dans vos entreprises???
Non!... le trois quart des Pieds Noirs étaient des gens
simples, des fonctionnaires, des artisans, des gens qui vivaient de
petits boulots.
Ma grand-mère maternelle a élevé seule ma mère. Elle faisait des
ménages la journée et gardait des malades la nuit. Elle habitait le
quartier arabe près du cimetière. Elle n'a jamais eu d'automobile.
Tous les jeudis, elle nous apportait des bonbons. Elle traversait toute la ville à pieds, avec son petit paquet de sucrerie et nous, nous l'attendions avec impatience. Elle ne nous faisait pas de cadeaux à Noël, elle était trop pauvre...
Mes grands parents paternels, étaient des personnes plus en vue. Mon grand père a été Conseiller municipal plus de vingt ans. Il a créé le premier collège technique "Électricité et Menuiserie". Il a eu la Légion d'honneur. Il possédait une voiture quand mon père était un jeune garçon. Il n'a plus jamais de moyen de locomotion.
Ma grand-mère était professeur de piano, solfège, chant et concertiste. Mais tous deux vivaient dans un deux pièces au cinquième étage, d'un grand immeuble.
Moi, même, j'ai arrêté mes études. Je voulais avoir un emploi pour avoir enfin, mes propres deniers... comme beaucoup de mes copines.
Extraits du livre "Une pieds noirs parle aux pieds blancs" d'Ode Pellissier