L'espace des villes
(Clémence Rebours)
15 mai 2014. Les accents pied-noir et arabe chantent et résonnent dans nos oreilles, nous atterrissons à Annaba. Par les hublots nous tordons le cou pour voir les côtes de l'Algérie et j'ai la gorge qui se serre. Je regarde autour de moi, notre groupe forme trois rangées, je sens l'excitation, la hâte d'arriver, mais pas de larmes à l'horizon. Du moins pas à vue de nez. Le groupe produit une sorte d'ivresse qui relègue les larmes au second plan, qui les garde peut-être un peu pour plus tard.
Nous? Quinze voyageurs en provenance de Marseille qui rejoignons cinq parisiens, deux organisateurs et un chauffeur, pour un voyage de sept jours dans l'est algérien. Seize pieds-noirs partis quand ils avaient entre environ quatre et vingt-cinq ans et cinq accompagnants venus partager la découverte d'une terre dont ils ont tant entendu parler. Je suis de ceux-là, fille de pieds-noirs. Parmi ces seize pieds-noirs, douze reviennent pour la première fois... 15+5+2+1=23 personnes, le compte est bon. Il faudra y ajouter le sympathique accompagnement policier qui nous étonne au départ, auquel nous nous habituons vite et qui finira par nous faire vivre un grand moment...
Avant le départ, il faut bien le dire, c'était la grande inconnue. Et un peu le bazard aussi! Les désirs des uns devant s'accorder à ceux des autres et, ensemble, se coller-serrer dans les 12h d'une journée bien tassée. Nous avons sept jours et de quoi faire pour quinze: les joies du voyage de groupe organisé sur mesure. Heureusement, Hamdi, de l'agence de voyage Zama Travel, est souple et Gilbert, de l'association Les Enfants de Thagaste, patient. Les mails ne tardent pas à s'enchaîner. Je suis effarée par le nombre de messages qu'ils sont capables de s'échanger chaque jour. Ping, ça fuse, pong, ça rebondit... Ils n'ont pas volé leur réputation de bavards! On sent, à travers ces nombreux mails, une certaine complicité, une hâte d'y être et une certaine anxiété... Car ces multiples mails comblent aussi le vide de cette grande inconnue.
Dans ces mails s'expriment des attentes plus ou moins précises: pour les plus jeunes, il s'agit de pouvoir enfin voir les lieux dont on leur a si souvent parlé; pour ceux qui ont quelques souvenirs, retrouver des odeurs, des sensations, des souvenirs, des émotions, renouer avec leur enfance; pour ceux dont les souvenirs sont plus vivaces, un véritable besoin, par exemple de respirer l'odeur de la mer sur "sa" plage de Toche
Pour celui qui est déjà venu, faire découvrir les lieux de son enfance et les paysages de ce pays à son épouse mais aussi partager ce retour aux sources avec d'autres pieds-noirs; pour celles qui y ont laissé un être aimé, pouvoir se recueillir sur une tombe et se faire pardonner tant d'années d'absence.
Ces attentes ne vont pas sans quelques craintes: crainte de ne rien retrouver des éclats des couleurs, des odeurs des petites ruelles, de la vivacité des petits marchés, que tout ait disparu, défiance par rapport à la traitrise de la mémoire qui transforme les souvenirs, les idéalise et crée parfois des déceptions. Crainte, de ne rien reconnaître des souvenirs que l'on nous a décrit, et de ne plus rien avoir en commun avec ses parents, crainte de la résurgence de souvenirs violents qui feraient revivre une grande souffrance, crainte de voir apparaître des souvenirs de guerre oubliés ou, à l'inverse, crainte de se sentir étranger dans son pays natal, de ne rien ressentir. Crainte, enfin, que ceux nés en France ou en Italie ne se sentent perdu dans ce groupe de pieds-noirs... Les semaines passant, certains se laissent porter, ne réalisant pas trop ce qui va se passer, d'autres voient leur besoin se transformer en désir, d'autres encore voient resurgir des souvenirs au cours de conversations avec leurs parents, et une aînée voit avec bonheur deux "petites" soeurs et trois "petites" cousines la rejoindre dans ce périple. Et voilà, le "un jour, j'irai en Algérie", c'est maintenant. Nous y sommes. Pour le moment, le voyage, l'excitation, la grève des contrôleurs aériens ont raison de nous, nous tombons tous de sommeil. Bône attendra un jour de plus et nous aussi.
Où l'on visite Annaba, le Cap de Garde, le site d'Hippone, la Basilique St Augustin et Seraidi, ex-Bugeaud... Et route vers Souk-Ahras pour une partie du groupe
J+1: Grand bleu sur Annaba. Mais attendez attendez. "Bône" ou "Annaba"? Avant de partir, Gilbert nous a fait quelques recommandations, parmi lesquelles, éviter de dire Bône mais plutôt Annaba, logique. On commence par râler un poil, et comme on n'est sacrément pas habitués, on révise, on répète, on se reprend... Puis on arrive et les locaux nous accueillent d'un chaleureux "Bienvenue à Bône!" ou "Bienvenue chez vous!". Touché. Peu à peu, le décalage, la mini-tension que j'ai ressenti lors des premiers échanges s'estompent. Une tension peut-être liée à la difficulté de découvrir, pour le pied-noir, comment l'algérien a fait sien quelque chose qui leur était commun. Le pied-noir cherche à se réapproprier Bône qui dans son souvenir lui appartient, mais pas dans la réalité. Et finalement, cet accueil chaleureux, ces "Vous êtes ici chez vous" confirment que Bône-Annaba leur appartient aussi. Premier grand apaisement.
Sortie de l'hôtel, le bus nous attend. Mais avant toute chose, une escapade s'impose à la plage de Saint-Cloud, pour toucher le sable, voir la promenade, apercevoir le Cap de Garde et humer l'air de la mer... Et c'est parti pour une journée de visite, de rires, de "show", d'expressions qui reviennent de loin "Que Dieu nous garde au Cap de Garde!". Les blagues sont un peu potaches; c'est que, soudain, ils ont tous pris 50 ans de moins...
En fin de journée, on prend un Creponnet (glace au citron) à l'Ours Polaire, la madeleine de Proust des Bônois. Ils en bavent, le kiosque est toujours là, le Créponnet aussi: "Nulle part on en trouve des comme ça!".
Puis on se promène le long de la promenade "Où est la Pierre Carrée?" demande t'on à un local: "L'eau a tellement tourné autour qu'elle est devenue ronde!".
Les plus expansifs vont parler à droite à gauche à des anciens qui posent toujours les mêmes questions, étonnantes: "Quel nom? Quel quartier?", comme s'ils étaient partis il y a un an. Et parfois: "Ah oui, untel, il habitait à tel endroit!". Quand je pense qu'à Paris, on connait rarement son voisin... Les plus vieux disent "il faut revenir", les plus jeunes, "donne moi le visa!" d'un air goguenard...
Pendant ce temps, du côté de Souk-Ahras. Finies les petites routes enlacées d'autrefois, c'est à grands coups de bulldozers que les montagnes sont rognées afin de faire place à la future 2x2 voies de Annaba à Souk-Ahras. Les paysages défilent sous les yeux ébahis des six voyageurs qui ont souhaité immédiatement se rendre sur les lieux de leur enfance. Tout au long du chemin, les cigognes sont affairées à faire leurs nids, il fait beau, les montagnes sont belles et verdoyantes, les champs de blé sont abondants des deux côtés de la route, c'est la pleine saison des fèves, des petits pois, des pommes de terre, des oignons, des ails qui sont vendus, fraîchement ramassés, sur le bord de la route. 350 dinars, l'équivalent de 0,35 cts d'euros, on se laisse tenter par quelques kg de fèves ainsi que par de magnifiques oranges Thomson, garanties ultra-douces par le vendeur.
Duzerville, Baral St Joseph, Duvivier, Aïn Tahmimine, Laverdure, Aïn Seynour avec sa source: nous approchons de Souk-Ahras. Nous entrons en ville par le faubourg St Charles, les images deviennent plus claires, nous passons devant le Castel D'Agata, la rue Charles Laborie, tournons à gauche vers le pont de Tiffech, toujours là. Vendredi, la ville est quasiment déserte, belle aubaine pour circuler et prendre des photos. Rue de Constantine avec une grande émotion.
Il faut rouler au pas afin de ne rien oublier, une paire d'yeux ne suffit pas. Nous passons devant le théâtre,
Une chance, le directeur est devant l'entrée, nous engageons la conversation. Ravi de voir une ancienne élève de l'école de danse, le directeur nous invite à entrer avec les Salamalecs d'usages. Le théâtre est intact, les fresques n'ont pas bougé malgré les peintures des danseuses dénudées sur les murs, une restauration est prévue dans les prochains mois nous dit-on. La promenade en ville nous ramène à nos 15 ans, le centre est intact à part quelques maisons qui ont laissé place à des immeubles ou des commerces. Tiens, si nous essayions le groupe scolaire, il y a justement quelqu'un qui semble avoir les clefs "Vous désirez visiter?", nous lance le monsieur avec un large sourire "Vous êtes ici chez vous...". Belle aubaine, il est rare de voir les portes de l'école s'ouvrir comme ça, surtout en période d'examen.
Brève visite des classes, du square, du moins ce qu'il en reste, le terrain de boule, du tennis club...
Là aussi, nous sommes reçus les bras ouverts avec toujours la même phrase: "vous êtes ici chez vous". Nous sommes une fois de plus obligés de refuser malgré nous l'invitation de boire le thé ou le café proposés très aimablement, le temps presse, en aurons nous suffisamment pour voir tout en si peu de temps?
Où l'on se lance dans un jeu de piste: cimetière et ville d'Annaba pour les uns, Souk Ahras pour les autres
J+2: Mme Ménard, du Consulat vient de débarquer avec ses plans et nous aide à retrouver les tombes enfouies. Moment émouvant où l'on retrouve enfin une mère, un père, des proches perdus jeunes et restés là. Le cimetière ressemble à un jardin, voire une jungle à certains endroits. Le tout a un charme fou même si les ronces griffent nos jambes et nos bras lorsque nous cherchons une tombe au milieu d'un carré. Le temps fait son oeuvre et le devoir de mémoire a du mal à l'accepter. Et pourtant, les coups de sécateur renforcent les troncs.
Il est temps de nous lancer, par petits groupes, à l'assaut de Bône. Les Mille Logements, La Menadia, Beauséjour, Les Santons... Parfois, on est perdu:
- Nan, c'est pas là, je ne reconnais pas. - Ben... on a demandé, c'est là! - Non, c'était blanc. - Ben... là c'est bleu et blanc sale mais c'est là!
Mais parfois, on reconnait et on ose frapper: par chance, les portes s'entrouvrent. "Bonjour, nous avons habité là il y a très longtemps, nous aurions voulu savoir si ça vous dérangeait qu'on entre une minute pour revoir l'appartement". Une seconde de surprise, d'hésitation puis la porte s'ouvre franchement et nous sommes les bienvenus. On s'émerveille, on reconnait "le couloir, il était immense, en fait il est tout petit!", "le carrelage au sol, c'est toujours le même!", "oh, le salon où on dînait", "moi je dormais là"... On finit assis dans le salon, nos hôtes insistent pour nous offrir le thé et les croquants, les mêmes que les nôtres.
Soudain, un homme entre: "Je savais que ce jour-là arriverait. Vous savez, je leur ai toujours dit: "quand les propriétaires viendront, on leur laissera l'appartement!"" Vous êtes ici chez vous". Re-touché. Ping pong de "non, c'est chez vous!". Second apaisement.
Les langues se délient: "en bas, il y avait l'épicière "Darko"", "pour aller à l'école d'Armandie, tu montes le pont de la Tranchée et tu y es!", "Il allait au club de foot"!... Les noms fusent. On sort l'album photo, ils nous montrent les leurs.
Et soudain: "Je vais vous dire, on est plus nostalgiques que vous". "On aurait pu continuer à vivre ensemble... En 62, il nous aurait fallu un Mandela". Et c'est re-re-touché.
On parle tant et tant des lieux où l'on doit encore aller que notre hôte finit par descendre avec nous... et nous y emmener! Deux heures à cavaler vers la rue d'Armandie, par la Diane Chasseresse, les Quatre-Chemins... Heureusement qu'il est là, aurions-nous seulement osé nous aventurer dans ces quartiers? Puis le jour tombe: notre nouvel ami hèle deux taxis qu'il paye malgré nos protestations, et, avant de disparaître, il nous invite chez lui, en Ecosse. L'émotion est visiblement présente des deux côtés.
"Ca fait du bien."
Ce sera bien la journée la plus riche en émotion de tout le voyage. Le soir, chacun se raconte. Les organisateurs s'enquièrent de savoir ce que l'on a trouvé:
- Si on me demande de raconter, je ne sais pas comment faire. Il n'y a pas de mots, c'est trop riche. On a besoin d'être au calme. - Je suis sur un petit nuage, j'ai les jambes en coton. - C'est génial, très émouvant. - A Nantes on m'avait dit "allez-y, vous êtes là-bas chez vous". Je pensais que c'était des formules toutes faites, et en fait il n'y en a pas un qui ne nous a pas dit qu'on est chez nous.
Et pendant ce temps, à Souk-Ahras, la journée est également consacrée à la visite des anciennes habitations de chacun. La clinique Thouvenot, transformée en hôtel.
La Banque de l'Algérie, malheureusement impossible à visiter... Puis le cimetière, si bien entretenu. Tous ces noms connus nous donnent la chair de poule, d'autant que le cimetière est resté dans son état originel, les tombes et caveaux sont en très bon état, les crucifix sont toujours là, les chapelets, reliques, statues, couronnes de perles, etc. toujours à leur place. Les Souk-Ahrassiens peuvent être fier de leur cimetière, leurs aïeux reposent en paix à l'ombre de magnifiques cyprès centenaires.
Le groupe devant le pont suspendu
J+3: Nous avons laissé Danielle et Marie-Claire, qui regrettent bien de ne pas poursuivre le voyage, elles finiront de visiter Annaba avec Fouazi, le guide officiel de Jean, avant de rentrer.
Sur la route qui traverse vallées et montagnes, certains tronçons de l'autoroute en construction nous obligent parfois à repasser sur les petites routes à double-sens. C'est pas le tout mais ça bouchonne un peu et on n'a pas trop le temps, vous comprenez... Alors nos amis policiers prennent les choses en main devant nos yeux ébahis: gyrophares, sirènes hurlantes et deux bras qui s'agitent de chaque côté de l'auto font signe aux conducteurs de tous bords de se ranger sur le bas-côté pour nous laisser passer. Stoïque, notre chauffeur se faufile entre les files de camions et voitures... Impressionnant. Très gênant vis-à-vis des locaux mais réellement impressionnant.
Le site de Constantine est splendide: la ville est juchée sur un rocher et la promenade, au fond de la gorge, sera bientôt rénovée. Bonne idée, il faudra sans doute revenir après les (grands) travaux pour vraiment apprécier tout le potentiel du lieu...
Visite de la Mosquée: djellaba obligatoire pour les femmes. Fou rire incontrôlable en se voyant ainsi affublée: celle-ci est trop large, celle-ci trop grande, celle-ci ressemble à un manteau d'homme, ce foulard à un turban ottoman... Le jeune policier qui nous accompagne ne se cache pas pour rire à gorge déployée.
On ne peut empêcher les petites déceptions lorsque l'on ne retrouve pas un lieu, une tombe... D'où l'importance de bien penser à organiser soi-même son temps sur les lieux qui comptent le plus, et à préparer toutes les infos nécessaires, voire à demander un guide spécial pour organiser une visite particulière lorsque le temps est compté afin d'être sûr d'avoir le temps de voir ce que l'on veut voir.
Car le temps file très vite... et bientôt, il faut partir à Djemila.
Où l'on découvre de fabuleuses ruines romaines à Djemila, et la ville de Sétif
J+4: Les paysages sont magnifiques, très changeants et le site archéologique de Djemila est superbement conservé. Le guide, extrêmement bien formé, agréable, clair et ludique, nous raconte de multiples anecdotes liées à l'histoire et à la mythologie romaines qui relèvent de la culture générale. Les immenses mosaïques sont conservées en très bon état dans le petit musée de l'entrée et les ruines romaines, vastes. Hamdi prédit que le ciel va nous tomber sur la tête, ce qu'il ne fera qu'une fois la visite terminée. Un passage à Sétif pour visiter la ville, un musée, mettre - ou pas - une pièce dans une fontaine, et nous rentrons.
Où l'on meurt d'envie de se baigner à Skikda, sous un soleil de plomb et dans une eau transparente...
J+5: Cette côte est à tomber par terre. Si l'on effaçait l'usine pétrolière en face et les cochonneries habituelles dans l'eau, Skikda et son rivage seraient un véritable petit bijou. Il y fait un temps de rêve mais le planning est serré et nous l'observons depuis un restaurant superbement situé.
Nous voici revenus à Annaba après deux trois jours passés ailleurs. Les émotions des premiers jours sont un peu retombées. On sent déjà, selon les groupes, qu'une page est en train de se tourner, tranquillement, sans nostalgie. Par pour tous, bien sûr, d'autres, qui étaient plus âgés lors du départ ou qui ont perdu leurs parents, ont plus de mal à tourner la page, comme des arbres déracinés et replantés ailleurs. Ils sont déjà revenus et ils reviendront car c'est à chaque fois une foule de souvenirs qui leur reviennent aussi: les expressions de leurs parents, maintes et maintes fois entendues, une émotion en touchant cette terre.
On repart se balader dans les lieux qui nous manquent. On suit les indications des parents, on lève le nez... et on finit toujours par tomber sur un ancien qui nous aide à nous repérer "telle boutique était là, untel habitait là". Moi, en voyant les soeurs et les cousines rire ensemble, se promener dans ces rues, sur ces plages "comme avant", j'ai le sentiment de les connaître enfin, de toucher ce qui les lie, et qui est resté en suspens depuis 52 ans, lorsque leurs familles ont été dispersées aux quatre coins de la France.
Où l'on part à Souk-Ahras... ou à Batna
J+6: C'est magique de simplicité: "Tu veux aller à Batna dans la journée? Pas de problème!" (400 km aller, 400 km retour). Marijo, donc, est allée à Batna, et elle en est revenue heureuse grâce à Fouazi, toujours cet extraordinaire guide qui lui a suggéré d'aller là et là, lui a montré des lieux oubliés, lui a raconté des histoires... Il a endossé à la perfection le rôle de passeur en l'absence de parents ou de proches pour partager ce moment.
Autre avantage à être seule avec un guide en ce moment précis: les portes qui s'ouvrent encore plus facilement dans les écoles, dans la maison natale de la Banque d'Algérie...
De nôtre côté, nous avons visité Souk-Ahras, "petite" ville sise au sud, dans les montagnes, avec un crochet par Madaure, autre site romain marqué par l'ancienne culture des oliviers.
Nous voici maintenant au soir du dernier jour. Le directeur de l'agence est venu écouter les réflexions de chacun. L'émotion est forte:
- Je ne regrette pas d'être venue - Je n'avais aucun souvenir mais quand je suis arrivée j'ai tout reconnu, sauf que tout avait rétréci! - Ce qui me rend triste, c'est de ne pas pouvoir partager ça avec mes parents - J'ai plein de questions à poser à mes parents - Je n'ai plus de nostalgie, la page est tournée, je ne souffre plus de n'être de nulle part, je ressens maintenant ça comme une richesse...
Où l'on rentre chez soi, serein
J+7: c'est la fin du voyage, trois d'entre nous restent une semaine de plus, ce sont maintenant des habitués... Hamdi, notre guide, va s'ennuyer sans nous. Alors, pour lui procurer un dernier frisson, Michelle oublie sa valise "rose" à l'hôtel. Où l'on apprend à 60 ans que l'on est daltonienne.
Et nous avons repris l'avion dans l'autre sens, sereinement, tranquillement. Le temps de rentrer chez soi, de reprendre ses esprits, et la valse des mails a repris, sur un rythme plus doux, pour se dire à quel point on a aimé ce voyage... L' "émotion" est évidemment le sentiment qui revient le plus souvent, mais aussi le bonheur d'avoir fait ce voyage, d'avoir (presque) tout retrouvé, la joie, aussi de l'avoir fait ensemble.
Certains ont retrouvé leurs odeurs, d'autres, qui cherchaient l'oranger, le jasmin, le lilas, non...
"Cela faisait 52 ans que je "révisais" précieusement dans ma tête mes souvenirs de Souk-Ahras pour être sûre de m'y retrouver quand un jour j'y retournerai. C'est chose faite, j'en suis heureuse."
"Ce voyage a remis à sa place la pièce de puzzle qui me manquait de mes 8 premières années de vie."
"Je n'avais pas de souvenirs de mes cinq premières années à Souk-Ahras et Bône. Ce sont les souvenirs de mes parents, grands-parents, oncles et tantes qui sont devenus les miens à force de les entendre tous parler des baignages dans le port, des journées à Toche, et grâce aux nombreuses photos. Désormais je peux visualiser tout cela, même si la réalité est quelque peu différente. Normal, 50 ans après."
"Tout, j'ai tout retrouvé (comme le disait Barbara) des tombes de mes grands parents un peu ternies par le temps car on n'était plus là à la Toussaint pour les lessiver consciencieusement, à la maison de ma naissance..."
"Même si je n'ai pas tout retrouvé, le fait de toucher enfin ce pays du doigt et de plonger dans sa réalité a été très bénéfique, malgré les changements dans la ville (son développement anarchique et la propreté)"
"Mettre un terme à un idéal fait de très nombreux et beaux souvenirs. C'était une vie passée, dans la joie et la tendresse des adultes de notre nombreuse famille. Je n'ai pas la mémoire des noms mais les lieux et les odeurs étaient intacts. J'ai refait le même chemin qu'avec les Jeannettes en gravissant les marches de la Basilique St Augustin. Bien sûr, l'intérieur est différent mais le lieu toujours aussi solennel. Le fait de marcher sur le sable de Toche était plus que symbolique, c'était le tournant d'une vie, la fin de l'insouciance de la jeunesse..."
Un mal pour un bien, dit-on. C'est plutôt vrai pour l'entretien. Sur place, on ronchonne un peu car tout est défraichi, tout est abimé, rien n'est entretenu (sauf les intérieurs)... Mais d'un autre côté, c'est ce "laisser-aller" qui nous permet de tout retrouver tel quel plus de cinquante années après... les immeubles, les marches de la poste, les kiosques...
C'est à l'Association des Enfants de Thagaste que s'adressent tous les remerciements. Car c'est grâce au "trait d'union" que représente l'association que chacun a pu se décider à franchir le pas d'un voyage sans cesse repoussé parce qu'on ne savait pas trop par quel bout le prendre. L'association donne le courage de se lancer. Et même si l'on n'est pas fana des voyages organisés, celui-ci a joué un rôle important: outre le fait de se libérer des questions logistiques grâce un encadrement sérieux, il a permis de transformer un moment qui aurait pu être trop vif en émotions en un moment joyeux, procurant le sentiment fugace de se retrouver en famille, de s'échanger des "Tu te souviens?" chaleureux et fédérateur. Le groupe a apporté ici une grande chaleur, permettant de vivre ce moment important comme entouré des siens. La boucle est bouclée. Chacun a pu trouver quelque chose qui lui permet de remettre les choses à leur place, de pouvoir avancer.
Et l'on se rend compte plus tard que si l'anxiété du départ a laissé la place à une grande sérénité, c'est en grande partie grâce aux Algériens eux-mêmes...