L'espace des villes
(Gérard Rodriguez)
Un clavier d'ordi c'est inerte. C'est mort. C'est nous qui lui donnons vie. Puissent mes doigts transcrirent car dans ma tête tournent des milliers d'images et conversations arabo-françaises. Dans ma tête chante mon Algérie.
Je ne savais pas quand j'ai commencé à écrire mes jours heureux, moi qui ne suis surtout pas un écrivain mais un témoin, que cela n'arrêterait jamais. Mais une chose est sûre, quand je pense, je parle, j'écris ou je raconte mon pays, alors oui c'est les jours heureux...
Le temps hélas n'a pas été de la partie. Il a plu, venté, neigé, grêlé, bref! Un temps à rester chez soi. Eh bien j'y suis chez moi... Et puis ce temps là c'est celui que j'ai connu à mes premiers cris. Alors lui et moi nous nous connaissons. Gégé tu es chez toi. Et c'est ce qui compte! Alors raconte! Raconte! Fais revivre les jours heureux.
Alger le 6 février. Petite peur. Un temps de chien. Les montagnes qui se voient depuis l'aéroport sont couvertes de neige. Et nous avons droit à un faux départ. Retour dans l'aéroport. Ah non! Il ne faut pas ça! J'attends moi! J'attends depuis des mois de me retrouver à Bône. Et finalement. Il s'élève cet oiseau de air Algérie. Ouf!! Voilà je peux me mettre en connexion avec Bône. Et une heure plus tard m'y voilà. Personne non personne ne peut comprendre ce que c'est que de revoir sa ville à moins d'y en avoir été arraché par la force. Bône ce nom résonne en moi comme vie. En peu de temps le taxi nous amène à l'Hôtel el Mouna. La pluie tombe avec force, le vent souffle. Je retrouve déjà mon enfance. C'est étonnant comment nos premières années restent imprégnées en nous. Quel bonheur de repasser devant le port même s'il est devenu une forteresse. Quelle sensation de revoir la corniche. La mer est démontée. Elle en est marron par moments. Alors je baisse la vitre et je me mets à humer cette odeur caractéristique que seul la corniche de Bône possède. Pas de doute je suis bel et bien intoxiqué à vie par ces odeurs et qu'on ne me parle pas de désintoxication. Mes poumons ne sont pas assez grands pour s'en remplir de cet air de Bône. Comment décrire ce qui ne peut que se ressentir. Impossible. Voilà c'est en drogué de cet air marin de la corniche que le taxi s'arrête à l'hôtel. Vite, vite! Faut que je ressorte. Je pose mes stocks dans la chambre, mais une faim me tenaille et c'est à st Cloud que j'avale sans les apprécier ces premières merguez dont je ferai une indigestion durant mon séjour. Et nous voilà parti vers mon premier rendez vous. Le quartier St-Thérèse où je dois retrouver la villa de ma tante titi. 50 ans après pas facile. Alors je prends en photo toutes les villas. Et je cherche. Voilà je pense avoir trouvé mais non ce n'est pas celle-ci. Mais ce ne sera au cours de ma recherche que des belles rencontres tout au long de ce voyage. Je sonne et une dame m'ouvre sa porte. Je lui demande si cette villa était dans le temps au nom de Coutayard. Elle me dit non. Mais aussitôt la conversation s'engage. Entrez! Entrez! Et entrez, entrez! Et cela on me le dira partout. Ah! Merci. Merci à vous braves gens de notre pays. Cette gentille dame me présente sa maman qui aussitôt va me chercher un panier remplit de dattes. Je refuse pour la forme. Mais pas trop ah, ah! ah! Et me voilà à manger ces belles dattes d'Algérie. Cette dame me recommande à sa voisine qui plus âgé pourrait me renseigner. Et voilà je sonne à sa porte, et encore une belle rencontre, belle instruction, langage qui ferait honneur à Victor Hugo, me voilà à faire de nouvelles connaissances et de recevoir des invitations. Mais hélas je ne peux accepter. Trop de choses à faire. Mais ce moment passé avec vous Madame fut du pur bonheur. Quelle joie d'être ainsi reçu par ce peuple dont depuis toujours je fais partie. Hélas je n'ai pas trouvé ta maison ma tata titi. Je suis un peu triste, mais je remettrai cela à ma prochaine visite. Marcher au milieu de toutes ces villas bouscule mes souvenirs. Je me revois quand enfant nous allions chez tata titi. Ces maisons me regardent. Je les regarde. Nous ne sommes pas étranger, je commence à imaginer leur vie avant 62. Et voilà je ne suis plus au moment présent. J'ai dix ans et cela, au court de mon voyage je peux dire que je les ai eu souvent mes dix ans, ou avec ma maman je déambulais ces rues de Ste Thérèse, où l'été le soleil tapait dur sur le citron. Toutes ces images je les ai en tête à tout jamais. Elles sont ma richesse. Certains en rirons mais moi je les changerai pas pour de l'argent. Ma fortune ne peut se compter ainsi.
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Et puis je décide d'aller revoir mon école de St Cloud. Bien sûr toujours avec un peu d'appréhension car mes attentes sont grandes. Je veux tout voir. Tout retrouver. Je suis reçu par Madame R.J. et par une gentille infirmière, je leur dis que j'ai été élève de cette école et aussitôt avec un large sourire elles m'ouvrent la visite. Je me retrouve encore à mon enfance. Où sous un soleil de plomb je partais pour l'école de St Cloud. Des fois ma mère me donnait 5 centimes et des fois j'ai honte à le dire je les volais dans son porte-monnaie et je me rappelle juste en bas de l'école il y avait une marchande de makroud. Je m'en rappelle très bien car les siens étaient les plus gros du coin. Et je m'achetais un gros makroud dégoulinant de miel. Que je dévorais à toute vitesse sous un soleil de plomb avant de rentrer à l'école de St Cloud. Ces makrouds sont une des images qui ne me quitteront jamais et 50 ans après en en parlant, J'en ressens encore le goût dans ma bouche. Je reconnais tout de mon école, je prends des dizaines de photos souvent les bras en l'air c'est pour moi une façon de montrer ma joie et cela fait rire les dames qui m'accompagnent. Je les sens aussi heureuses que moi. Elles doivent se dire ça ne prends pas grand-chose pour le rendre heureux. Mais je crois surtout qu'elles ont compris qu'elles ont fait comme moi un retour en arrière, et se disent! Vas y profites tu es chez toi. Merci à vous! Je revois les classes. Le préau. La cour. Je me rappelle surtout qu'en été on crevait de chaleur dans cette cour, je revois la petite forêt de pins en arrière de l'école où se trouve le terrain de sport, et où en été on entendait crier les étourneaux. Je reparle du passé avec ces dames. Je suis une vrai gargoulette qui se vide en paroles je suis heureux quoi! Et puis elles me demandent de signer le livre d'or des anciens élèves. Alors je me fais pas prier et bien sûr comme dirait ma maman. "tia dû écrire un roman heinnnn!" ben oui maman j'ai écris un roman. Certains signent un livre avec leurs doigts. Ah non!!! Moi je l'ai signé avec mon coeur et mon âme. J'ai écris toute une page de mon écriture affreuse. Mais comment résumer sur une page des années de bonheur. Alors elles me demandent de leur lire ce que j'ai écris. Je commence à lire et monte en moi des émotions terribles qui me gonflent la gorge, les souvenirs m'assaillent. J'essaye de contrôler: impossible! Je me mets à bredouiller, les larmes coulent de mes yeux. J'essaie de contrôler, impossible. Alors je continue au milieu des larmes. Je crois que j'ai fait mon show mais voilà moi je suis sensible. (Oui je sais un homme ça pleure pas et patati et patata, tout cela pour moi c'est du vent) bref je suis en larmes. Et je leur dis "excusez je ne peux pas continuer" et dans des bredouillements plus que des paroles, je dis "je veux juste vous dire merci pour votre accueil. Merci de m'avoir compris." Elles me tendent un mouchoir. Ah sacré Gégé. Mais bon jamais je ne trahirai mes émotions pour plaire et sauver la face car je n'ai rien à sauver. J'ai surtout à être moi-même et puis M .... Je suis heureux. Voilà . Je récupère. J'ai des yeux gros comme des billes agates. Mais c'est de bonheur. Je dois quitter avec regrets, sous une pluie qui ne lâchera jamais.
Les dames me raccompagnent à la sortie avec promesses de revenir. Ah non elles n'ont pas été juste gentilles avec moi, elles ont été généreuses de leur temps. Généreuses de leur coeur. Je me suis senti aimé. Oui je reviendrai qui sait peut être sans pleurer mais ça je ne veux pas y penser. Je veux surtout revenir, merci à vous de votre accueil. Merci école de St Cloud de ne pas m'avoir oublié.
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Je ne me suis pas rendu compte mais j'ai passé plus de 2 h 30 dans cette école de St Cloud je repars pour l'hôtel sous la pluie. Le soir tombe. Je peux dire que pour une première journée Aie! Aie! Bonjour les émotions. Mais quelle journée bien remplie. C'est beau les jours heureux!
Mardi 7 février.
Je regarde par la fenêtre de l'hôtel, purée va!! Un déluge de pluie et de grêle. Bon ben faut sortir. Hein!! J'appelle mon Ami algérien H de la menadia. Et lui donne rendez vous à l'hôtel pour 10 h 30. Nous nous sommes connut par internet et je le sais homme de coeur. Le téléphone sonne. C'est la réception "votre ami vous attends en bas". Je descends et pour la première fois deux hommes de coeur et de raison se retrouvent. Nous nous embrassons et on s'installe à une table du resto, je lui dis ma joie de le voir. De le connaître, lui a les larmes aux yeux. "Je ne pensais pas que tu viendrais" me dit-il, c'est mal connaître Gégé. Nous voilà à nous raconter nos vies. Et chacun a eu ses blessures. Il me parle de sa vie. De son père (on gardera cela pour toi et moi mon ami H) mais quel malheur à l'écouter. Qui a dit que les guerres sont propres, seuls ces exploiteurs de la misère humaine. Je l'écoute, et afin de lui montrer que je le comprends. Je lui prends les mains dans les miennes. Je ne peux que lui dire un sincère "je suis désolé" mais sache mon bon ami que je comprends ta vie. Car ta vie c'est aussi mon histoire. Et que je suis aussi désolé que je sois impuissant à changer le passé. Nous voilà à refaire les choses à faire revivre nos passés, mais que de la joie, tu te rappelles de cela et de cela. Comme c'était bien. Oui je me rappelle de tout! Un homme de bien mon ami H. Pas facile sa vie. Pas facile la mienne alors bien sûr on se comprend. Le temps court. Nous décidons de repartir ensemble puisque m'attends l'école de Beauséjour. Et c'est bras dessus bras dessous. Comme deux frères que nous remontons vers la ménadia. Où nous nous quittons avec maintes embrassades comme seuls nous autres habitants de l'Algérie on sait le faire avec promesse de se revoir avant mon départ. Oui un homme gentil mon ami H. Je suis heureux de te connaître.
Je remonte depuis la ménadia cette route que si souvent j'ai faite enfant, quel plaisir. Je me revois avec mes shorts et mes savates en plastique. Du pur bonheur, dire que étant enfant ça me paraissait si long ce trajet. Et là me voilà déjà arrivé au coin de l'école de Beauséjour. Je sonne, on m'ouvre. Je demande. Le directeur Monsieur B. on me fait entrer dans son bureau, je suis accueilli par son frère qui me dit - Entrez, entrez. Monsieur B va arriver. Et voilà que s'engage entre ce monsieur et moi une conversation comme si nous nous connaissions depuis toujours. Je reste persuadé que pour que deux hommes se parlent en toute liberté il ne faut pas des jours. Non! Non! Juste que ça clic! Et là croyez moi ça a cliqué! Quel bonheur d'être reçu ainsi. Je ne sais pas s'il se rend compte à quel point je suis heureux, cette école est la mienne et on me le fait bien ressentir. Voilà que Monsieur le directeur arrive. Juste son sourire est une carte de visite comme on n'en fait plus. Nous sommes heureux de nous revoir, je lui donne des photos de moi prises en 1958 et 59 dans cette école. Je lui offre du bon sirop d'érable du Canada. Vraiment une belle journée. Nous partons ensemble sur le boulevard qui mène en ville. Et nous voilà à prendre un verre dans un café. Cet homme là a du coeur. Et lui aussi je ne sais pas s'il se rend compte à quel point je suis ému de me retrouver à mon école, et reçu comme si je ne l'avais jamais quitté. Il me dit revenez jeudi je vous ferai un diplôme du passage à votre école. Je note et nous nous quittons. Il est 14h30 je pars vers le cimetière cette route si souvent prise est gravé dans ma mémoire à jamais.
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La pluie redouble de force. Mais cette eau est bénite pour moi. Elle m'a si souvent arrosé enfant mais là elle devrait au moins me laisser tranquille le temps de mon passage au cimetière. Mais non pas question! Je retrouve M et A les gardiens du cimetière et nous voilà sous une pluie qui redouble. à€ la recherche des tombes de ma famille. Et de celle d'amis. Ah notre beau cimetière hélas a subit les affres du temps. Un véritable bourbier quand il pleut. Mais je ne me décourage pas. Et malgré le temps je prends les photos, lesquelles je sais sont attendues par de nombreuses personnes qui ont pas la chance d'être là . Je retrouve la tombe de mes frères. Ah! Cette pluie qui ne me lâche pas. Pourtant je trouve, je prends le temps, de caresser ce tombeau froid. Et sans vie. Où depuis tant d'années vous dormez. Plus de 50 ans ont passé. Que fessais-je durant toutes ces années? Je me dis. J'essaie en leur parlant de combler le temps perdu. Mais le temps perdu ne se comble pas. Il est perdu! Alors je parle, je parle. Et tout me revient. Comment peut-on garder en mémoire toutes ces images intactes si ce n'est par la douleur et la souffrance qui les a suivit. Mon visage est mouillé, je ne sais même plus où est mon parapluie, la pluie, les larmes se mélangent je suis trempé car j'ai finis par tout oublier autour de moi. Pour être plus près de mes frères. A instant si court on donne tout. Je sais que je voudrai leur dire tant de choses qui se bousculent dans ma tête pourquoi toi ce caveau es tu si froid. Quand j'y dépose mes mains. Ah le temps est impardonnable, il essaie toujours de vous ramener à la dure réalité mais moi en ce moment là je veux juste être le petit garçon qui venait avec sa maman, votre maman vous voir et qui ne comprenait pas tout. Et jouait autour de votre caveau pendant que notre maman le nettoyait. Aujourd'hui je suis grand. Ca veut dire quoi? Juste qu'il me reste les regrets. Et les regrets sont terribles. Mais avant. Oui avant. J'étais un enfant. Et je ne comprenais pas. Aujourd'hui oui je comprends. Aller va! Faut partir. Je reviens. Je retrouve mes 60 ans. Pour constater que je suis dans un état pitoyable... mouillé et plein de boue... Il faut retraverser le cimetière la pluie qui a redoublé en a fait un terrain de marécages. On me dit que des budgets sont attribués par la France. Mais que ceux qui les reçoivent les détournent. Pour s'acheter des 4x4... Boff. Cela ne m'étonne même pas et je n'arrive même pas à les haïr. Je connais trop le genre humain. Alors mon beau cimetière tu es seul à prendre soin de toi. Aller à la prochaine, va!
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Et je me dirige vers la vielle maison. Surnom que nous avions toujours eu pour la maison rue du docteur mestre où nous sommes tous nés. Vieille maison car en ce temps là ce n'était pas la richesse, enfin du moins pas tel que le monde peut le comprendre. Car si nous n'avions jamais été riche d'argent. Par contre nous avions la richesse des pauvres. L'amour et la famille. Quelle joie de revoir Mr et Mme S. Si les premières fois que je suis allé les voir je ne contrôlais pas mes émotions. Là je suis serein. Car je sais que je rentre chez moi. Ils sont débordants de tendresse et d'amour et d'attention. Ils donnent comme seuls les pauvres savent donner, avec leur coeur! Après cette pluie qui ne cesse pas et m'a détrempé quelle satisfaction de nous retrouver tous autour d'un bon thé; comme seul un algérien sait le faire, et de pâtisseries, makrouds, cornes de gazelles etc. Et de cette galette cuite sur la pierre. Voilà déjà faut se quitter mais je lorgne la galette dont il reste un gros morceau. Et tant pis je fais mon mal élevé et je demande si je peux emmener le morceau de galette qui reste. Aussitôt. Tous partent à rire. Et me voilà non pas avec un morceau de galette mais une galette entière enveloppée qui m'est remise. Ca fera mon déjeuner de demain humm! Merci à vous braves gens. Que cette maison qui nous a vu naître. Vous soit à jamais un abri sûr. Et remplit d'amour Je vous aime.
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Il est déjà 18 h. Et la nuit tombe depuis l'hôtel el Mouna. Je vois la plage de St Cloud, la mer est démontée. Les vagues se fracassent. La pluie bat les carreaux de la fenêtre. Les lampadaires voient leurs lumières tanguer sous l'effet du vent. Tout cela est St Cloud la plage. Je ne change rien à mon programme. Pluie! Tu ne ruineras pas mon voyage et je pars manger à la caravelle. Le restaurant des riches comme on disait dans le temps avec mon papa. Refaire la corniche en taxi, sous la pluie, ses virages. Ses arcades. Le collège d'Alzon. Tout va trop vite dans ma tête. Que déjà je suis arrivé. Je descends les marches de la caravelle et le Maitre d'hôtel me reconnaît. Et avec un sourire de pro me serre la main. Ah! Je lui dis. Ce soir c'est la fête. Je veux ce qu'il y a de mieux. Car je ne suis pas seul même si S est avec moi nous sommes trois. Lui, moi et mon papa. Ce soir papa toi qui n'a jamais mangé ici. Ce soir papa! On mange à la caravelle. Et je commande tous ce que mon papa aimait. Matsagounes, dorades grillées. Je m'installe à une table près de la fenêtre. Et même si il fait nuit je veux voir la mer. La mer qui danse dans la pluie et le vent. Il fait nuit. Et les fenêtres sont remplies de buée, alors de mes mains j'essuie et je regarde. En bas. Assez de lumières pour voir les rochers. Mes rochers. Où j'ai passé tant de nuits à attraper sars et autres poissons. Et bien que je n'avais que 10 ans ils n'avaient aucune chance une fois accroché à ma ligne j'étais un bon pêcheur. Ah mes rochers vous rappelez vous de moi. Oui je le sens. Et cela me conforte et me met un grand sourire sur les lèvres. Je le sais. Je le sens. Je ne suis jamais parti. Voilà ! J'ai bien mangé. La bouteille de St Augustin a fait son effet, j'ai bien parlé avec mon ami le maître d'hôtel. Soirée formidable. Et je repars satisfait. Dehors il fait froid mais je me fiche de cela. Je veux marcher un peu. Et je repars vers l'hôtel el Mouna. A pieds. Je ne résiste pas, tous les 3 pas je me penche en bas pour voir ce lever de l'aurore où la mer en furie se fracasse sur les rochers et qui en 1960 me faisait dire "ah ce soir elle tape trop on fera rien!" Papa toi qui est parti il y a déjà quelques années. Es tu là ce soir en bas. Avec ton bambou, je crois que oui. Tu te rappelles mon papa on y a passé tant de nuits. Alors papa attends je te rejoins. Je descends ma bicyclette et comme avant, comme quand c'était les jours heureux. On dira "et tchak, je lui donne". Et on le mettra dans le cartable et ne rentrant maman sera heureuse. Merci à toi S mon compagnon qui durant tous ces moments a comprit que je voulais être seul avec mes souvenirs et qui tranquillement marchait en arrière à attendre que je revienne sur terre et qui alors me disait à chaque fois "alors ça yé tu l'as retrouvé ta vie d'avant!" oui S je suis ici pour cela tu le sais bien! Je l'ai retrouvé ma vie d'avant!
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Mercredi 8 février.
Ah cette nuit orages terribles. Je ne voulais pas dormir. Les mains bien à plat sur les couvertures, j'écoutais la pluie battre les carreaux, et soudain la chambre entière s'éclairait, le tonnerre se mettait à gronder et la foudre tombait sur la mer. Ah le tonnerre de Bône non! Non! Il n'est pas comme ailleurs. Le tonnerre de Bône. D'abord il est mon ami. C'est lui que j'ai connut à mes premiers cris. Et puis il ne gronde pas comme ailleurs wallou! Il a une voix. Un peu comme dieu quand il parle dans les montagnes à Moïse dans ce film de Cecil B de Mill. Le tonnerre à Bône roule sa voix. Ramène sur lui toute son énergie et puis lâche un roulement de darbouka puissant. Qui résonne dans la montagne de Bugeaud et ébranle les maisons, vous donne le sentiment de lui appartenir. Il n'est pas méchant. J'en ai connu des tonnerres dans le monde. Celui de Bône c'est le plus beau. Le plus puissant. Mais jamais il ne vous fera du mal. J'ai passé la moitié de la nuit. Oui!! Les yeux grands ouverts à l'écouter et j'avais à nouveau dix ans. J'étais dans mon lit à la villa des trois mousquetaires où souvent il m'a chanté ses trémolos et fait passé mes plus belles nuits d'enfant qui sait que de toute façon pas loin dorment papa et maman et que tout est sécurité...
Il est 8h30 un taxi vient me chercher je pars pour Randon où je dois rencontrer un ami A. qui me dit - va jusqu'au rond point et je t'attendrais. Maudite pluie qui ne s'arrête pas... Arrivé au rond point, à l'entrée de Randon. Je sors et je vois arriver vers moi. Mon ami A sous un parapluie. Ah! Ah! Ah!. Quelle grandeur d'âme. Je garde dans ma mémoire à jamais notre rencontre tu avais un sourire d'homme heureux. On s'est serré dans les bras. Et avec les yeux plein de larmes tu m'a dis: Toi aussi:
- Je ne pensais pas que tu viendrais!
- C'est mal me connaître mon ami. Ah! Ah! Ah! ...
- Veux-tu absolument que je renvois le taxi! Me dit-il.
- A partir de maintenant c'est moi qui s'occupe de vous!
Il a l'air heureux. Et moi je trouve cela formidable. C'est génial
toute cette spontanéité. Nous nous dirigeons vers sa maison. Sacré A il
est encore sous ses émotions de notre rencontre. Persuadé que je ne
viendrai pas... Ah! Ah! Ah!... Nous entrons, sa femme nous accueille
avec un large sourire. Belle famille. Nous n'avions pas prévu de rester
pour le diner mais A insiste.
Et en deux trois mouvements. Nous voilà assis dans le salon sur des tapis. Et des pouffes à manger ensemble. C'est génial. A, va chercher sa collection de photos et nous passons en revue tous ses souvenirs. Nous avons refait 50 ans d'histoire en 2 heures... Il est temps hélas de se quitter. Et A, nous raccompagne à Bône. Nous voilà tous les trois à nous promener j'avais des adresses à trouver A se charge de m'aider. Et partout où nous demandons, des gens du coin nous viennent en aide, et cherchent avec nous. Merci à vous, merci de votre générosité. Et puis A doit nous quitter. A, je suis heureux de te connaître. De connaître ta famille. Tu es un être de coeur et sensible. Tu es vrai. Et tu as les pieds sur terre. Tu m'as ouvert ta maison, reçu comme un membre de ta famille, donné beaucoup, tu m'a fais revivre mes 10 ans. J'ai passé avec toi une très belle journée. Ah oui je reviendrai. Tu es mon Ami A.
Le temps court. La nuit tombe je décide d'aller acheter quelques souvenirs sur le cour Bertagna sous les arcades. Mémoire! Mémoire! Les souvenirs ou? A acheter? Non! On n'achète pas des souvenirs surtout pas les miens. Ils sont à moi. Ils sont ma richesse. Voilà je suis sous les arcades pourquoi faut-il maman que tu me tiennes soudain la main! On traverse la rue? Ah oui mais tu me parles maman tu me parles c'est vraie? "Attention aux calèches mon fils, aller va!! Au moins sous les arbres le soleil nous y tapait pas dessus, et marche pas dans la merde des chevaux hein!!! Que moi je nettoie après, aller dépêche toi. Que si tu marches comme ça demain on y est encore, fais pas la charrette. Va!! Attends que je regarde un peu les vitrines, et commences pas à courir et à te cacher derrière les poteaux des arcades. Que moi je ne te cherche pas. heinn!!" Maman!! Maman!!!. Je me sens tout étourdit. Car un coup de klakson me sort de mon enfance et me revoilà en 2012. Maman m'a lâché la main. Je retrouve mes 60 ans, mes deux bras portent des paquets .Oh non!! Pas de souvenirs. Juste des bibelots. Une grande tristesse m'envahit, je ne me suis même pas rendu compte que j'étais sorti du magasin. Je dois accepter que maman est partie, car je ne vois même pas de calèches. Dur! Dur!! La réalité.
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Jeudi 9 février (le diplôme)
Dire qu'il pleut ne change rien, je dois retourner à l'école Beauséjour où le directeur doit me remettre mon diplôme. Je remonte la ménadia. Bon sang que cela se fait vite. Dire que enfant je trouvais le trajet si long. J'arrive à l'école, je sonne. J'entre. Je demande le Directeur. On me dit qu'il a dû s'absenter, mais qu'il a laissé un paquet pour moi. Quelques minutes plus tard deux dames reviennent avec un joli sac à cadeau. Bien arrangé. (Déjà là je dis whowww!!). J'ouvre le sac et même si je pensais avoir quelques chose de bien je me retrouve devant un superbe emballage molletonné. Je suis époustouflé, dedans se trouve un diplôme de reconnaissance de mon passage dans cette école digne des hautes écoles. Je n'en reviens pas. Mes yeux s'ouvrent comme des billes. Je dis à mon ami S:
- regardes!! Mais regardes!!! Attends, ça c'est du
professionnalisme.
- ah oui je me rappelle exactement de mes paroles!
Je n'en reviens toujours pas. Je regarde les dames qui me l'ont donné
et qui trouvent cela bien banal. Et qui se mettent à sourire de voir ma
tête. Moi je suis sidéré, une véritable oeuvre d'art. Je ne sais plus
si je suis fier. Ou content. Ou surpris. Tout se mélange dans ma tête,
franchement Monsieur le Directeur. Là vous m'avez scotché!! Je suis à
le tenir ce diplôme à deux mains. Et je regarde autour de moi cette
école. Moi qui n'avais jamais été un surdoué à l'école et à qui les
diplômes se sont faits plutôt rares. Mais cette école a façonné ce que
je suis aujourd'hui. Cette école de Beauséjour a fait que je sache lire
et écrire. Quel bonheur de recevoir en ce jour une telle
reconnaissance. Je me retourne alors encore vers la cour de l'école et
je balaie tous les murs du regard avec un sentiment d'appartenance,
avec au coeur des émotions d'enfant. Je suis tout retourné, j'ai des
larmes plein les yeux. Mais alors quel bonheur. Je suis heureux. Je ne
crois pas que le Directeur se soit rendu compte de l'impact de son
geste de générosité. J'en ai eu des reconnaissances au long de ma vie,
elles sont de l'ordre professionnelles. Et on sait que dans ce milieu
souvent ce ne sont que des discours de formalité. Mais là !! Là ! Ce que
je tiens dans les mains c'est ma vie. C'est mon enfance, c'est toute
mon existence. Oui Monsieur le Directeur vous m'avez certifié ma vie,
la vraie celle qui est * mes jours heureux * c'est mon histoire liée à
ce pays, liée à mon Algérie. Je suis fier d'être né en Algérie et puis!
Il faut repartir.
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Me voilà parti pour la rue Burdeau, je dois retrouver la maison de tata Odette. Impasse Savino, bien sur je ne passe pas inaperçu avec mon appareil photo et puis les gens je crois se sont habitué à nous voir revenir. Et puis bon oui j'ai la conversation facile. Et me voilà à parler à des gens qui me disent, oui! On connaît le propriétaire Monsieur A... Et de me le présenter, il était dans un café juste au coin du passage Savino et de la rue Sadi Carnot. 4 hommes attablés qui m'offrent de m'asseoir et m'offrent de prendre un thé. Tout de suite on se lance dans notre histoire celle de nous autres celle des années des jours heureux. Parfois on parle tous ensemble chacun a envie de dire ce qui depuis des années dort en lui. On a une même histoire et une même déchirure. Oui je le dis avec sincérité, à cette table il n'y a que des frères. Il n'y a que des hommes qui ont besoin de recoller les morceaux d'une déchirure qui fait mal des deux côtés. Ils se souviennent tous de ma famille. Et le propriétaire me donne tous les noms des membres de ma famille il me dit, oui c'est mon père qui leur louait l'appartement à ta famille. Il était même au courant des dernières nouvelles de la famille. Ah quelle belle conversation. Et nous voilà à prendre ensemble le passage Savino. Il m'ouvre les portes de chez tata Odette. Dès que je franchis la porte de fer qui donne dans la cour c'est comme si je venais d'y entrer la veille. Je retrouve mon enfance. Encore et toujours. Bon sang comme je suis heureux que des années d'exil n'ont en rien altéré mes souvenirs. Je reconnais tout. La cour. L'escalier en face qui mène à l'étage de l'appartement de tata Odette. J'ai bel et bien dix ans quand je monte les marches. J'entends mes cousines et cousins rirent, je revois tata au balcon nous accueillir. Je prends des dizaines de photos. J'aimerais que jamais ne se termine ce moment. Comme quand, tu te rappelles tata on venait chez toi, tu faisais du café. Tu sortais tes gâteaux. Et j'entends encore ta voix qui crie après mes cousins!! "Adriennnnn!!!!! Monte ou j'descends!" je ne veux plus partir à quoi bon de retrouver une vie d'adulte que beaucoup m'envie, alors que là j'ai retrouvé mes dix ans. Mes shorts. Mes savates de plastic. Et que je suis chez tata Odette. Demain avec son mari tonton Marcellin. On ira (c'est lui qui me l'a dit) chasser les perdreaux près du lac Fedzarra. Et puis samedi ils viendront à la villa pour faire les brochettes. J'irai chez le boucher chercher les frisures de mouton, le soir tata Odette et maman se mettront à couper la viande. On passera une belle soirée ça sentira le kamoun et l'harissa. Et le lendemain les femmes feront les comptes. Tata Odette jamais je ne t'oublierai. Car dans la pauvreté où nous vivions tous. Nous étions riches à millions, mais ça, peu peuvent le comprendre. Voilà tata Odette il faut partir, il faut à nouveau refranchir le portail de fer du passage Savino que si souvent tu as passé sans savoir qu'un jour ce serait la dernière fois et que tu mourrais dans un pays qui nous est étranger... Mais grâce à Monsieur A le propriétaire et à sa gentillesse. Je sais maintenant que je peux revenir te voir souvent tata Odette. Et que nous revivrons ces jours heureux du passage Savino, quand j'allais chez toi tata Odette!
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Je descends la rue Sadi Carnot je pars pour la colonne
Ah! Ah! La colonne. A elle seule c'est une ville dans la ville. Quel numéro n'a pas connut ma famille dont entre autres, les Borg! Le 40 le 42 le 44 le 46 etc. etc... La colonne où j'arrive en ce moment a pas changé de son atmosphère. Ca reste le quartier populaire, où chacun connaît l'autre. Quand on allait à la colonne. Il fallait dire bonjour à chaque pas, car chacun connaissait l'autre, et ma mère me tirait par la main. "Aller avance et dis bonjour quand on arrive heinnnn!" Comment!! Oui comment ne pas se rappeler de ces jours de la colonne... Je me refais ma colonne, celle des années 60. Dès que je tourne au coin du docteur Mestre. Je vois tonton Vincent déjà très malade, assis à califourchon sur sa chaise et qui regarde passer et le temps et les gens. Et à qui chacun dit Bonjour M'sieur Borg! ça va ce matinnnn!! heinnn! Et vous les enfants de la colonne vous dont j'entends les cris imprégnés dans les murs des maisons. Où êtes vous les filles de la colonne? Vous dont les cris retentissent à mes oreilles. Et me font me retourner, où êtes vous Chantal, Leila? Ah vous voilà . Sur le trottoir juste devant chez vous à jouer à la marelle. Ou plutôt aux osselets. Les larmes qui envahissent mes yeux font que je ne distingue pas très bien à quoi vous jouez... Ah non! Non! Vous jouez aux noyaux d'abricots dont on faisait des petits tas... Et puis demain après midi. Leila et Chantal, vous jouerez à la corde pendant que le frère de Chantal, Bernard vous passera et repassera devant avec son vélo en vous narguant car pour vous les filles interdiction d'aller plus loin que le trottoir. Et puis toi Bernard que fais tu avec cette boite de conserve et cette longue ficelle?? Ah!! Tu téléphones à ton ami Kamel? Et demain matin Leïla et Chantal comme toutes les filles de la colonne de votre âge vous irez à l'école Sadi Carnot. Chantal, Leila: je peux le certifier. Vous n'avez jamais quitté la colonne Ah!! Tiens c'est tonton Julien ah! Lui toujours au café de Marseille avec son anisette et ses cigarettes bastos, ce soir il sera saoul et rentrera chez lui à la cour des miracles au numéro 7 de la rue Sadi Carnot. L'alcool aidant il fera des zigzags en engueulant et en jurant sur tous ceux qui se moqueront de lui. Je t'aime mon tonton Julien. Laisses-moi te faire un bisou. Ben oui tu étais un alcoolique, et alors? Tu étais un des piliers de la colonne avec tes jurons dont seule la colonne avait le secret. Tiens voilà le laitier Monsieur Mikalef! Un pur maltais, et ma mère lui dit "Hier vous z'avez encore mit de l'eau dans le lait. Heinnn Mr Mikalef!!" et lui de répondre "oh vous croyez que je suis un boleur heinnn???" Avec mes dix ans je pénètre au numéro 44. La calèche est toujours là . Au fond de la cour des moutons mangent. Car bientôt ce sera l'aïd Kabîr. Du linge sec sur les cordes. On ne sait pas à qui il est, tout est mélangé, mais chacun retrouvera le sien. Des odeurs me parviennent. Des odeurs de kanouns allumés sur lesquelles des femmes algériennes dans leurs robes de couleur, le cou enrubanné de colliers de cuivre et autres métaux qui à chacun de leurs mouvements lancent des éclairs dans le soleil de midi, cuisent des galettes. Je suis hypnotisé par ces femmes au visage buriné mais serein. Par leurs mains couvertes de henné. Elles ne travaillent pas. Elles dansent, certaines ont le sourire édenté qui leur donne le respect de celles qui savent mais ne parlent pas, car les gestes sont leurs paroles. Aller va! Il y aura bien une de ces femmes qui devant mes yeux d'enfant grands ouverts de gourmandise et d'envie me donnera un morceau de cette galette. Je suis ivre de souvenirs, de bruits. De rires, de cris et d'odeurs. L'enfant de la colonne que je suis court partout. La colonne! La colonne! Ne me laisse pas repartir. Je suis trop heureux ici avec toi. Qui a dit que c'est pauvre la colonne. Ah ah ah. Mais on a pas la même idée de la richesse. Aller va! Venez mes shorts rapiécés, mes savates de plastic et toi mon bob j'ai l'air de quoi habillé comme ça? Hein? Mais j'ai l'air d'un enfant de la colonne. Alors je retombe le torse, et avec mes dix ans, je repars pour l'hôtel el Mouna. Et surtout! Surtout! que personne jusqu'à ce que j'arrive à L'hôtel ne me sorte de ma torpeur. Moi! La colonne, je vais à St Cloud Moi! La choumarelle de la colonne, je vais à la plage. Aujourd'hui, les jours heureux ne veulent pas d'histoire à la colonne.
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Vendredi 10 février.
Que le temps passe vite à Bône mon dernier jour chez moi. Demain il faudra partir. Mais là c'est encore aujourd'hui. Je suis levé à 8h. Il pleut des cordes, déjeuner avalé. Je dois sortir vite! Vite! Me voilà sur la plage de St Cloud. A cette heure là il n'y a pas grand monde. Je regarde le château des anglais lui qui était libre est maintenant prisonnier de hauts remparts qui fait croire à l'homme qu'il a le pouvoir de tout mettre à sa main. Cela me fait hausser les épaules. La beauté du coin n'a pas changé, je me retrouve sur la plage. J'ôte mes chaussures. Je m'en fous, il fait froid, mais je veux encore sentir ce sable sur lequel mes jours heureux ont tant couru. Une sensation extraordinaire que ce sable a sur moi. Je me mets à courir en enfonçant les pieds bien profondément. Les grains de sable font des grin, grin, grin. Mes dix ans courent sur la plage de St Cloud. Je regarde défiler à gauche la mer, à droite, ces maisons qui soudain se mettent à me faire de grands signes comme pour me dire. "on ne t'a jamais oublié Gégé". Tiens! Tiens!! Là était la maison de Monsieur Blondet juste à côté de la coupole. Un grand ami de chasse à mon papa. Ici quelque part derrière ces murs dorment ses meilleurs chiens de chasse. Bayard et Tayaut. Ils ont fait Sidi-Djémil. Tiens, La villa mauresque. Pauvre de toi tu vieillis mal. Aucun entretien. Alors le temps te rattrape. Pourtant, petit, je venais frapper à ton portail et ensuite je me sauvais sur la plage en sautant du haut du trottoir, étant sûr de ne pas avoir été vu. Cours Gégé!! Cours sur la plage de st -Cloud. J'arrive aux mille logements, eux aussi ont mal vieillis. Le bruit des vagues qui se fracassent sur les rochers près de la pierre carrée me fait revenir à la réalité, pendant quelques minutes mes dix ans ont couru sur St Cloud. La seule différence. Je ne vois pas ma maman me courir derrière avec la savate. En me disant "éloigne toi encore et ma parole je t'en donne une sur la tête heinnn!" pauvre maman ta parole tu l'à jamais respecté. Ah dur!dur! Ces allers retour vers le passé et présent. J'aimerais tant que mes dix ans restent dans ce qui est mon pays d'Oz. Mon Algérie d'avant 1962... Aller va. Je me regarde et je pars à rire. Je suis trempé de la tête aux pieds. Le sable mouillé colle à mes pieds comme pour me dire. Tu es revenu on ne te laisse plus partir. Alors je frotte je frotte. Faut bien remettre mes souliers. Mais alors quelle belle course!!! Pendant quelques minutes j'ai remonté le temps. St-Cloud m'a appartenu. Tout, la mer! Les cris des enfants! Les maisons! Les vendeurs de cacahuètes, tout! Tout!! Tout! Pendant quelques moments. Les jours heureux m'ont rattrapé.
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Voilà je remonte sous la pluie vers la ménadia. Et je décide de remonter la route de la fontaine romaine et de retrouver la fontaine romaine, cette route qui serpente. Entre la cité montplaisant et la ménadia. Est une route mythique à Bône. Les soirs d'été nous allions nous promener sur la route de la fontaine romaine, la nature était présente partout. Les grands cyprès. Les oliviers où je savais que dormaient les étourneaux, cette route dont l'asphalte noir encore chaud de la journée du mois d'août faisait résonner les savates de mes parents et leurs amis. Cette route je le jure les soirs d'été, on y voyait miroiter les étoiles tant elle était lisse. Et nous les enfants nous étions toujours en avant. "aller avancez les enfants que ça monte" disait ma mère. Nous nous cachions dans les virages. Et encore une fois nos mères nous criaient "oh les enfants regardez que on vous veut devant les yeux heinnn! Faites nous pas j'battre!! Mais ma parole on ne peut pas se promener tranquille avec ceussess là".
Ah! La fontaine romaine tu as bien changé. Ton bel asphalte aurait besoin de rajeunir. Et je me mets à lui parler "te rappelles tu asphalte quand avec nos patins à roulettes en métal à trois roues. Nous te dévalions. Tu étais un miroir et très vite nous prenions de la vitesse. Courbés comme des coureurs automobiles. Nous faisions semblant de tenir un volant imaginaire. Et dans les virages, tout notre corps se penchait à droite, à gauche. Et parfois. Si on calculait mal notre coup. On se retrouvait dans les cyprès d'où une fine poussière s'échappait et nous recouvrait entièrement. Et nous faisiez lâcher des gros jurons, mélange de français et d'arabes."
Tout à mes souvenirs, j'arrive à la fontaine romaine tout en haut. Là, une vue magnifique nous montre notre Bône. Pauvre fontaine romaine. Toi qui avais traversé les siècles sans embûche. Te voilà réduite à un dépotoir. Une eau nauséabonde sort de ton ventre. Des détritus de toutes sortes t'on envahit, je vois bien que personne ne prend soin de toi. Tu es réduite à un espace toujours plus restreint. Et toi oui toi qui était si belle. Je le sens bien tu as maintenant honte de te montrer. Alors je le sais je le sens. Tu préfères me dire. -vite, vite! Qu'on en finisse. Qu'à jamais je sois enfoui sous la terre, afin qui sait que peut-être dans les siècles futurs on me redonne vie. Je regarde le gros chêne sur ta gauche lui est encore solide. Alors je pose mes mains bien à plat dessus et je lui parle "toi mon chêne tu te rappelles quand nous venions te voir et qu'on tournait autour de toi. Sois fort. Sois brave toi qui a traversé le temps. Ne fais plus confiance aux hommes j'ai peur qu'une main maladroite un jour, ne décide de ta mort. Car on le voit bien comme les cyprès. Toi aussi tu déranges maintenant. Alors afin de ne jamais t'oublier, laisse moi prendre sur le sol quelques morceaux de toi que tu as laissé échapper comme si tu me disais tiens emmènes moi avec toi au Canada. Au moins j'aurai vu le monde." Voilà je suis très triste de voir ainsi la fontaine romaine. Je réalise qu'il pleut à torrents et je me mets à penser que ce sont les larmes du chêne de la fontaine romaine. Triste! Triste! Je suis! Je repars sous une pluie terrible qui redouble. Vas y mon chêne va! Pleure! Avec moi tu peux te laisser aller.
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Et puis la route de la fontaine romaine me ramène à la cité Montplaisant. Déjà dans la fin du virage. J'en aperçois les premières villas. Mais une seule m'attend. La villa des trois mousquetaires. Juste à l'entrée de la cité on y a aménagé de vilains magasins en place de nos beaux cyprès, en passant devant je détourne la tête sur la gauche car dans l'un de ces magasins est à celui qui m'interdit de rentrer dans cette maison qui fût chez moi.
Alors je m'approche de toi ma belle villa des trois mousquetaires. Je prends quelques photos. Avec la pluie qui tombe tu as l'air encore plus triste décidément je le ressens bien tu n'es pas heureuse. Alors pour panser tes blessures. Je pose mes mains sur la plaque ou est écrit "villa les trois mousquetaires" et de mes doigts je fais le tour de chacune des lettres. Et je revois mon passé, mes frères et soeur, mes parents défilent, les cris de la rue s'accentuent. Dans ma tête il ne pleut plus il fait soleil. Je me colle au mur. Les deux bras levés, et je ris comme un enfant sait rire. Pour quelques instants ma belle villa des trois mousquetaires tu rayonnes de bonheur, tu as retrouvé les jours heureux. Je regarde ce portail qui m'est interdit de franchir. Et je ne comprends pas pourquoi. Pourquoi de partout mes amis Algériens mes frères m'ouvrent leurs portes et leurs coeurs et ici toi tu me refuses l'hospitalité de quelques minutes. Et je n'arrive pas à en être fâché, je suis juste désolé. Toi qui à pas compris que je venais en ami. Toi qui m'as refusé juste 10 minutes d'hospitalité chez toi. Car tu es chez toi. Sache que je ne t'en veux pas. Tu as laissé passer une belle rencontre. Dommage tu dois avoir des raisons qui m'échappent. Je reste persuadé que pour partager. Que pour donner de l'amour et de l'amitié il faut au départ en avoir dans son coeur. Et toi peut-être n'as-tu jamais ressenti rien qui ressemble à cela: aller Gégé ne sois pas triste. Tu sais bien que de partout ici on t'aime. De partout ta famille, tes frères algériens t'ouvrent leurs maisons et leur coeur. De partout qu'ils s'appellent Amar, Mohamed, Ali, Aicha, ou Fatima. Etc., etc., etc. Tous et toutes te donnent plus d'amour et d'amitié que tu ne pourras en accumuler. Et me voilà tout ragaillardi, et tout sourire je dis au revoir à "la villa des trois mousquetaires".
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Je redescends vers St Cloud, bon sang il est déjà 16 heures. Que le temps passe vite quand on est heureux, j'arrive à la pierre carré l'escalier qui y mène est à moitié détruit de par l'usure du temps. La pierre carrée elle, a été emportée par une tempête. Il reste les rochers. Alors j'achète un thé à la menthe et je vais m'installer sur un des rochers du trou des soeurs, la mer est démontée et pour y aller je dois calculer les vagues. Mais je dois avoir mal calculé car je me fais bénir au moment de monter sur le rocher par une grosse vague. Mais je m'en fous. Profite en belle vague. Profites-en. Nous avons été assez longtemps séparés. J'ai besoin de toi. Je regarde vers le large, à gauche la plage de St-Cloud. Je regarde à droite la plage de Gassiau, au loin des bateaux partent pour l'aventure. Ils montent et descendent entre les vagues parfois je les vois disparaître et ressortir comme par magie de l'eau. Le décor est planté, rien n'a changé ou si peu que je ne vois aucune différence. Alors assis sur ce rocher. En plein vent. La pluie me fouettant le visage, mon foulard bien enroulé autour du cou, je suis comme Robinson Crusoé sur son île et sirotant mon thé à la menthe, je balaye du regard qui St Cloud, qui Gassiau, qui le large. Un instant de bonheur à immortaliser.
Voilà la nuit arrive tout doucement sur St Cloud. Les lampadaires s'allument et leurs lumières commencent à danser dans la pluie et le vent qui redouble. Des odeurs salines m'arrivent de la mer. Le trottoir de St-Cloud brille sous la pluie. Ce soir une dernière fois j'irai me régaler à la caroube de brochettes, de merguez. Je tremperais ma galette dans ce mélange de poivrons rôtis à l'huile d'olive et piquant. Ce soir une dernière fois je vais manger cette merveilleuse cuisine de mon enfance. Ce soir je vais tout faire pour que ce soit joie et rires. Ce que seul mon Algérie peut me donner. Demain il faudra partir. Reprendre le taxi vers les salines. Monter dans cet avion qui me ramènera à Alger puis vers Montréal, demain il faudra être fort car je quitterai jusqu'à la prochaine fois mon pays l'Algérie. Je sais que j'aurai le coeur gros. Je sais qu'en remontant la corniche je jetterai des regards à gauche et à droite. Comme un enfant à qui on va enlever son jouet. Mais moi on ne m'enlève rien. Cet autre voyage a été merveilleux. L'Algérie les Algériens tout et tous m'ont une fois de plus ouvert leurs coeurs et accueillit comme le fils ou le frère ou l'enfant.
A mon papa et ma maman qui n'ont jamais pu retourné
dans notre pays l'Algérie je vous aime.
PS = Merci à tous ceux qui m'ont ouvert leurs portes et leurs coeurs:
vous êtes trop nombreux pour que je vous nomme. Et j'aurai peur d'en
oublier. Merci à l'école de Beauséjour et de St Cloud de votre
générosité de coeur. Vous m'avez fait pleurer mais c'était de joie.
Merci à vous tous Algériens, Algériennes. J'espère juste que j'ai su
vous dire et vous faire comprendre à quel point je vous aime. A quel
point j'aime ce pays l'Algérie. Je n'ai aucun mérite, je suis né en
Algérie. Je suis un Algérien.
Gérard (Gégé)