L'espace des villes
(Gérard Rodriguez)
En ce temps là j'avais, 11 ans en 60. Et je me rappelle que j'attendais avec impatience que les jours d'école finissent et que arrive le samedi, car le samedi, c'était la réunion dans le garage de notre belle villa de tous les chasseurs. Ils arrivaient vers les 17 heures. Ils étaient environ de 15 à 20 parfois plus, ils s’asseyaient autour d'une grande table que mon père rafistolait chaque samedi, moi on me donnait 600 francs et je partais acheter l'anisette chez le mozabite en bas de la ménadia. Et je me dépêchais car je ne voulais pas perdre une miette de ce qui se disaient. Et là les chasseurs. Oui je me rappelle de pas mal de noms, les frères Dimeck, les Rosinetti, Campana, Di Meglio, Delorme un grand gaillard, etc. Et là ça parlait de stratégie. On allait je dis bien on car moi je collais au cul de mon père aussi fou que lui de la chasse. On allait à Sidi Djemil, parfois j'entendais les chasseurs dirent à mon père (car j'étais le seul enfant qui allait avec eux) "tu es fou Jeannot tu emmènes pas ton fils là ou on va ya des fellaghas!". Et un jour je vous raconterais la fois où les fellaghas nous ont poursuivis pendant 4 heures dans les montagnes de Sidi Djemil mais bon je continue, ah ben alors là l'anxiété elle me prenait. Et je tirai sur le pantalon à mon père, "tu m'emmènes hein tu m'emmènes hein??" Et lui, "ok ok mais dis rien à ta mère ou elle me tue".
Le rendez vous était donc prit pour le lendemain dimanche, et là les chasseurs partis mon père y faisait ses cartouches et pas question de faire du bruit. Il mesurait la poudre, moi je découpais les capsules. Vous vous rappelez ces capsules de pétard rouge en rouleau, mon père il mettait cela pour faire le détonateur des fois je tapais à côté et pan sa me pétait dans la face, ensuite on mettait la poudre, une bourre, les chevrotines que mon père y faisait lui même, et une rondelle de carton puis on cerclait sur une machine. Oui à 11 ans je savais faire les cartouches.
Et ensuite on se couchait, moi pas moyen de dormir, toutes les heures je disais à mon père "papa c'est l'heure?". Et lui de me répondre "non dors". "La madone dors tu me laisse pas dormir!", enfin le réveil sonnait. Vers les 3 h du matin on se levait on essayait de ne pas faire de bruits. Et mon père chauffait le café qu'il buvait dans la même petite casserole toute cabossée et où il trempait du pain. Et tout cela en allant aux toilettes ah le cochon!! Mais bon la folie de la chasse fallait se dépêcher. Ensuite. On descendait au garage et là, pour ne pas réveiller le quartier on poussait le side car oui on avait une moto avec le side car, on le poussait jusque vers la rue, et là mon père mettait en route, dans le silence de la nuit. Une nuit pleine d'étoiles, une nuit claire, le silence, qu'est ce qu’on était riche de simplicité alors!!
On partait, on descendait la route de la fontaine romaine et tournait à gauche de la ménadia on passait devant la ménadia, les frénes, puis on remontait jusqu'en ville en passant devant la grande poste, puis le cour Bertagna. Puis la gare, pas grand monde debout. Et on prenait vers le pont blanc, vers Duzerville. Puis Monder où on rencontrait tous les autres chasseurs. C'était le point de ralliement. il était environ 4 h 30 du matin je me rappelle il y avait un grand bar qui faisait le coin et à l'autre bout une boulangerie, et là mon père me donnait des sous et j'allais acheter le pain, je me rappelle fallait pousser une grande porte de bois, très lourde, toute vielle et là sur la droite le boulanger sortait un monsieur qui devait avoir autour de 60 ans et me donnait un gros pain tout chaud qui oui même là où j'écris je vois et je sens ce bon pain, il sentait bon, ensuite on reprenait la route sans s'arrêter vers Sidi Djemil.
Cliquez pour agrandir
On arrivait dans les montagnes dans un espèce de fort avec des militaires français dedans, à la SAS SECTIONS ADMINISTRATIVES SPECIALISEES je me rappelle, le jour se levait à peine, comme ça sentait bon le thym les broussailles, autour de la SAS il y avait des gourbis, je pense que les arabes se mettaient là pour être protégé par les militaires, on discutait avec le gradé et puis on descendait. Au travers des ravins et des broussailles, je pense que on devait faire pas mal de kilomètres. Pour arriver vers où on chassait. Ah comme c'était BEAU TOUTE CETTE NATURE SAUVAGE, LE JOUR SE LEVAIT, UNE BELLE JOURNÉE, UN CIEL MAGNIFIQUE, UN TOUT PETIT VENT CHAUD MAIS DOUX, ET SURTOUT SURTOUT CES SENTEURS QUE JE GARDE ENCORE EN MOI, TOUTES CES HERBES SAUVAGES. DONT LES PARFUMS S'ENTREMELAIENT POUR DONNER À NOTRE BELLE TERRE D’ALGÉRIE CETTE ODEUR PARTICULIÈRE DE LIBERTÉ ET DE SAUVAGE.
Là on encerclait un morceau de terrain où il y avait pas mal de grosses broussailles, et les chasseurs se plaçaient à environ 50 m de distance les uns des autres, moi je collais au cul de mon père. De l'autre côté les traqueurs arabes entraient avec les chiens. Et leurs fusils et tout en tirant des coups de feu, criaient le plus qu'ils pouvaient pour faire avancer les sangliers vers les chasseurs. Et la suite ben... Pan pan pan, car des sangliers y en avait la madone comme des mouches. On répétait la même chose 3 ou 4 fois. Dans la journée, vers les midi on faisait la pose et là on s’installait dans l'herbe brûlée par le soleil, à l'ombre d'une grosse broussaille ou d’un olivier, et chacun sortait son casse croute qui la soubressade, du saucisson de la boucherie greg, qui le pâté, qui les sardines en boite. Moi je me rappelle on mangeait souvent des sardines en boite, et toujours avec ce bon pain craquant. Les hommes buvaient du pinard, ce bon Sidi Brahim, et moi de la limonade. Ensuite une petite sièste de 20 mn et on recommençait à chasser, oui c’était les jours heureux.
Au retour on avait des mulets et on chargeait les sangliers dessus et on retournait à la SAS. On donnait toujours quelques sangliers aux militaires français ça devait améliorer leur ordinaire. Je me rappelle que une fois, vous vous souvenez de la lessive BONUX où on trouvait des cadeaux. Et j'avais trouvé dedans un bracelet arabe en métal et mon père m'a dit "emmène le à Sidi Djemil tu le donneras à une petite fille arabe". Voilà que moi je m'exécute et arrivé à Sidi Djemil je donne le bracelet à une petite fille de 8 ans qui avait l'air toute heureuse. Et là tous les petits arabes me collaient autour et voulaient des cadeaux, et là mon père qui me dit! Maintenant tu vois c'est comme un cadeau de mariage et tu dois te marier AVEC ELLE. Oh Pas question, et je me mets à pleurer. En disant non non je veux pas me marier papa. Bref ça avait fait rire tous les chasseurs. Oui c'était les jours heureux.
J'avais à cette époque une petite carabine à plomb et à la chasse en même temps quand mon père tirait sur les sangliers, avec son calibre 12 moi je tirais avec ma carabine à plomb et mon père me faisait croire que c'était moi qui avait touché le sanglier et qui l'avait tué eh pas besoin de vous dire comme j'étais fier, une fois en ville mon père m'avait amené chez l'armurier et montré dans la vitrine un beau calibre 12, et m'avait dis "tu vois quand tu auras 15 ans papa y te l'achète" et moi j'avais ouvert de grands yeux. Tellement j'étais content. Merci papa pour ce bonheur. Hélas mes 15 ans je les ai eu dans un pays étranger qui s'appelle la France et finit le beau calibre 12, ensuite on rentrait à Bône à la cité Montplaisant.
Cliquez pour agrandir
À la villa et tous les chasseurs suivaient. Les voisins venaient voir les fous qui revenaient de la chasse car avec les fellousses pas grand monde allait dans les montagnes. Mais merde que je ne regrette pas quels beaux souvenirs alors là dans le garage on dépeçait les sangliers et je peux vous dire que oui moi à 11 ans Gérard je savais comme un homme dépecer un sanglier et le mettre en quartier. On faisait des tas de viande sur des bouts de bâches sur le plancher. Autant de tas que il y avait de chasseurs. En prenant soin de mettre un peu de chaque partie des sangliers pour être équitable, il devait bien y avoir au moins de 20 kg à plus de viande! Qu'est ce qu’on a pu en manger du sanglier. Et mon père y nous disait mangez mangez, car on va partir et ce sera finit le sanglier. Bref, en effet une fois en France makach wallou le sanglier. Et je me rappelle excusez je fais une entorse, oui je me rappelle que mon père quand on est arrivé en France et qu'il voyait les français passer à la télé en posant avec un misérable sanglier. Oui mon père ça le faisait rire et il me disait! "Regardes les si ils m'avaient vu moi avec les sangliers de Sidi Djemil alors dans le monde entier je passe à la télé" oui mon papa tu étais le plus grand des chasseurs de sangliers, eh oui on était devenu des misérables.
Bref je reviens au partage. On mettait les noms de tous les chasseurs dans un chapeau et moi le petit je posais sur chaque tas de viande un nom. Ensuite on ouvrait les bouts de papier, et chacun prenait sa part, ah oui on en à mangé du sanglier, juste pour la tête c'était celui qui l'avait tué qui la prenait. Les années ont passées mais j'ai gardé la folie de la chasse.
A suivre
Gérard